• La Colombe et la Fourmi

     

    Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
    Quand sur l'eau se penchant une Fourmi y tombe.
    Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmi
    S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
    La Colombe aussitôt usa de charité :
    Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
    Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive.
    Elle se sauve ; et là-dessus
    Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus.
    Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète.
    Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus
    Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
    Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête,
    La Fourmi le pique au talon.
    Le Vilain retourne la tête :
    La Colombe l'entend, part, et tire de long.
    Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
    Point de Pigeon pour une obole.

     

    Jean de LA FONTAINE   (1621-1695)


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  • Il était une feuille 


    Il était une feuille avec ses lignes
    Ligne de vie
    Ligne de chance
    Ligne de cœur.
     

    Il était un arbre au bout de la branche.
    Un arbre digne de vie
    Digne de chance
    Digne de cœur.

    Cœur gravé, percé, transpercé,
    Un arbre que nul jamais ne vit.
    Il était des racines au bout de l'arbre.
    Racines vignes de vie
    Vignes de chance
    Vignes de cœur.

    Au bout des racines il était la terre.
    La terre tout court
    La terre toute ronde
    La terre toute seule au travers du ciel
    La terre. 

     

    Robert Desnos


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  • Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

    J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.

    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

     

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

     

    Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

    Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

     

    Victor Hugo 


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  •  

     L'école

     

    L’école était au bord du monde,

    L’école était au bord du temps.

    Au dedans, c’était plein de rondes ;

    Au dehors, plein de pigeons blancs.

     

    On y racontait des histoires

    Si merveilleuses qu’aujourd’hui,

    Dès que je commence à y croire,

    Je ne sais plus bien où j’en suis.

     

    Des fleurs y grimpaient aux fenêtres

    Comme on n’en trouve nulle part,

    Et, dans la cour gonflée de hêtres,

    Il pleuvait de l’or en miroirs.

     

    Sur les tableaux d’un noir profond,

    Voguaient de grandes majuscules

    Où, de l’aube au soir, nous glissions

    Vers de nouvelles péninsules.

     

    L’école était au bord du monde,

    L’école était au bord du temps.

    Ah ! que n’y suis-je encor dedans

    Pour voir, au dehors, les colombes !

     

    Maurice Carême

     


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  • Les écoliers

    Sur la route couleur de sable,
    En capuchon noir et pointu,
    Le 'moyen', le 'bon', le 'passable'
    Vont à galoches que veux-tu
    Vers leur école intarissable.

    Ils ont dans leurs plumiers des gommes
    Et des hannetons du matin,
    Dans leurs poches du pain, des pommes,
    Des billes, ô précieux butin
    Gagné sur d'autres petits hommes.

    Ils ont la ruse et la paresse
    Mais l'innocence et la fraîcheur
    Près d'eux les filles ont des tresses
    Et des yeux bleus couleur de fleur,
    Et des vraies fleurs pour leur maîtresse.

    Puis les voilà tous à s'asseoir.
    Dans l'école crépie de lune
    On les enferme jusqu'au soir,
    Jusqu'à ce qu'il leur pousse plume
    Pour s'envoler. Après, bonsoir !

    Maurice Fombeure


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