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La Colombe et la Fourmi
Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmi y tombe.
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmi
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité :
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête,
La Fourmi le pique au talon.
Le Vilain retourne la tête :
La Colombe l'entend, part, et tire de long.
Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
Point de Pigeon pour une obole.Jean de LA FONTAINE (1621-1695)
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L’homme qui te ressemble
J’ai frappé à ta porte
J’ai frappé à ton cœur
Pour avoir bon lit
Pour avoir bon feu
Pourquoi me repousser ?
Ouvre-moi mon frère… !
Pourquoi me demander
Si je suis d’Afrique
Si je suis d’Amérique
Si je suis d’Europe ?
Ouvre-moi mon frère… !
Pourquoi me demander
La longueur de mon nez
L’épaisseur de ma bouche
La couleur de ma peau
Et le nom de mes dieux ?
Ouvre-moi mon frère… !
Je ne suis pas un noir
Je ne suis pas un rouge
Je ne suis pas un jaune
Je ne suis pas un blanc
Mais je ne suis qu’un homme
Ouvre-moi mon frère… !
Ouvre-moi ta porte
Ouvre-moi ton cœur
Car je suis un homme
L’homme de tous les temps
L’homme de tous les cieux
L’homme qui te ressemble ! …
René Philombé (Cameroun)
(1930 - 2001)
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Il était une feuille
Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de cœur.Il était un arbre au bout de la branche.
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de cœur.
Cœur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l'arbre.
Racines vignes de vie
Vignes de chance
Vignes de cœur.
Au bout des racines il était la terre.
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre.Robert Desnos
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Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
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L'école
L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Au dedans, c’était plein de rondes ;
Au dehors, plein de pigeons blancs.
On y racontait des histoires
Si merveilleuses qu’aujourd’hui,
Dès que je commence à y croire,
Je ne sais plus bien où j’en suis.
Des fleurs y grimpaient aux fenêtres
Comme on n’en trouve nulle part,
Et, dans la cour gonflée de hêtres,
Il pleuvait de l’or en miroirs.
Sur les tableaux d’un noir profond,
Voguaient de grandes majuscules
Où, de l’aube au soir, nous glissions
Vers de nouvelles péninsules.
L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Ah ! que n’y suis-je encor dedans
Pour voir, au dehors, les colombes !
Maurice Carême
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